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Le Blog d'Emmanuel Y. Boussou
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13 juillet 2010

Du complexe à la crise du colonisé: syndrome d'une élite africaine en perte de repère

Pour débattre de la crise du décolonisé, il faudrait savoir en quoi le projet colonial avait consisté, sur quels paradigmes s’était-il construit, ce qu’il avait impliqué, en un mot ce qu’il avait mis en jeu et comment comptait-il se perpétuer. Ceci nous amènera à évoquer, également, une notion récurrente et symétrique de la crise du décolonisé, à savoir : le complexe du colonisé.

L’entreprise coloniale, qui avait mis en interaction des Européens et des peuples du continent africain pendant les XIXème et XXème siècles, avait pour objectif premier l’occupation de terres africaines pour y soutirer des matières premières ou pour y installer des colons. Ce double objectif du projet colonial fait parler de colonie de traite ou de colonie d’occupation. Le fait colonial était essentiellement une action de domination politique, autant qu’une opération de mainmise économique et d’hégémonie culturelle. Du point du vue culturel, les Européens nourrissaient, à travers le projet colonial, le dessein de construire de nouvelles sociétés en niant l’organisation sociale, le système de valeurs et la cosmogonie des peuples soumis.   

A la suite de la période d’exploration de l’Afrique par des Européens au XIXème siècle, l’entreprise coloniale, qui était le prolongement de la traite négrière transatlantique, avait d’abord pris la forme de conquêtes militaires. Celles-ci furent définies sous les vocables de pénétration et de pacification. A cela succédèrent les œuvres de conversion religieuse –christianisation– et d’alphabétisation dans la langue du colon. L’expansion de l’éducation  et de la christianisation avait trouvé sa justification dans la ‘mission civilisatrice’ pour donner les trois C : Coloniser, Civiliser, Christianiser. Mais, pour qu’un tel principe pût se concevoir et se mettre en mouvement, il fallait d’abord faire accepter l’idée que les peuples soumis n’avaient pas d’histoire ou de civilisation, ce qui prédisposait à leur mise sous domination politique et culturelle en vue de leur exploitation économique sans état d’âme.     

Le complexe du colonisé dérive donc d’une identité violée, voire détournée, qu’on a du mal à assumer, que ce soit au niveau individuel ou collectif. Ceci génère une identité imposée ou déformée. L’entreprise coloniale se donne, en effet, pour objectif la création ou la production d’un nouveau type d’homme à travers le sujet colonisé. Il s’agit principalement de la négation d’une identité, de la récusation de tous les schèmes qui la structurent et l’expriment, ainsi que de la répudiation de la symbolique qu’elle sous-tend, pour en imposer une nouvelle. Toute colonisation est donc, par essence, un viol, une agression. C’est une déconstruction, une destruction et une subjugation d’un ordre social, pour en imposer un nouveau, par le biais de la violence. Elle part d’un complexe de supériorité des acteurs de la société dite dominante pour instituer un complexe d’infériorité dans les peuples soumis. Mais, parce que tout complexe de supériorité voile un complexe d’infériorité, le projet colonial trahit inéluctablement la barbarie qu’il voit dans les autres peuples et qu’il prétend combattre.    

En sus de l’ampleur et de la profondeur de l’œuvre coloniale, émerge, dans le sujet et/ou la société colonisés, un cadre mental hybride, qui n’est plus celui de la société indigène, sans pour autant pouvoir embrasser ou intégrer pleinement la prétendue culture dominante qu’on tente de lui substituer. Ainsi, que ce soit consciemment intériorisé ou volontairement refoulé, la présence latente de ce formatage mental et les réactions qu’il appelle font parler de complexe du colonisé, ce qui produit un individu aliéné, donc prisonnier de préjugés relatifs à sa propre identité et aux référents identitaires forcement sublimés de la culture dite dominante. Cet individu en manque de repère est comme un être amputé de son âme, de ses sens et de son génie. Il devient déséquilibré, acculturé et tourmenté.        

L’élite politique africaine, fruit du système colonial, est le prototype de la manifestation la plus visible de la crise du décolonisé comme réminiscence ou résurgence du complexe du colonisé. D’abord, parce qu’elle provient du système colonial et avait été bâtie, à l’origine, pour « l’accompagner » dans son rôle de pourvoyeur d’auxiliaires administratifs. En effet, dans la plupart des pays africains, le système éducatif issu du régime colonial n’avait pour vocation que de former des agents à même de le perpétuer. C’était par accident qu’une élite politique émergea de ce lot pour porter des revendications politiques. Ensuite, cette élite politique fut incapable d’innover, ne serait-ce qu’en définissant un nouveau contenu au système d’éducation pour en faire un instrument véritable d’émancipation des peuples africains. Il n’existe aucun pays africain décolonisé où l’élite ait procédé à une refonte totale du système éducatif prenant en compte les normes, aspirations et valeurs des peuples autochtones. Il n’a jamais été cas, dans les pays décolonisés dans les années 1960, de rupture drastique avec le modèle colonial, ne serait-ce que par rapport au type d’hommes et de femmes qu’on voulait voir émerger des affres de la nuit coloniale.

Bien plus, l’élite politique, dans la plupart des pays du continent, se mit dans une position d’exploitation économique, de domination politique et d’aliénation culturelle des peuples africains, comme le firent les colons il y a un demi-siècle. Le comble est que pour masquer ses insuffisances, elle s’enferma dans des slogans de libération nationale.   

La construction nationale et la libération nationale sont des thèmes de ralliement de l’intelligentsia africaine, qu’elle soit sur place, dans des pays du continent, ou expatriée. Ce sont également des points d’intérêt, de convergence et de grande sensibilité pour les élites de populations d’ascendance africaine vivant aux Caraïbes et dans les Amériques. En Afrique, la construction de nations solides à l’intérieur des Etats légués par le système colonial est une œuvre en mouvement. Elle s’accomplit, dans la plupart des pays, en contradiction ou en niant les survivances d’ensembles nationaux existant avant l’arrivée des Européens ou en feignant d’ignorer le substrat de sociétés traditionnelles africaines à partir duquel l’âme et l’esprit des nouvelles nations devraient, en principe, émerger. La vision qui conçoit et lance la construction nationale, le contenu qui lui est assigné et la méthodologie qui la porte à la matérialisation sont d’une importance capitale, si on ne veut en faire des slogans creux. 

Y-a-t-il d’antinomie entre construction nationale et libération nationale ? Quel est le lien organique entre ces deux concepts et comment peuvent-ils s’articuler et servir de ciment en vue de la consolidation de la cohésion nationale dans les pays africains ?   

Pour construire de nouvelles nations des vestiges de l’Afrique traditionnelle précoloniale et à partir du legs colonial, il faudrait que les Africains  se libèrent des chaînes de pesanteurs sociologiques que sont la manifestation et la résurgence d’une logique tribale ou ethnique réductrice et sectaire, mais aussi l’essence et les réminiscences de l’ordre colonial, le principe d’une société bâtie, organisée et mue au profit des intérêts de la métropole ou de l’extérieur.

Le système colonial, faudrait-il le rappeler, n’avait pas pour vocation de porter et de mettre à maturation un projet d’amélioration de la vie des peuples soumis. Les progrès dans l’histoire des peuples colonisés imputables à l’ordre colonial sont des effets induits de l’entreprise coloniale, point sa finalité. ‘La mission civilisatrice’ de la colonisation n’avait aucun dessein philanthropique, mais plutôt un ton d’hypocrisie, un air de condescendance et un objectif d’exploitation que personne ne saurait dissimuler aujourd’hui, même si certains hommes politiques d’anciennes puissances coloniales rechignent à exprimer publiquement leurs regrets aux peuples africains soumis hier à l’esclavage, aux travaux forcés et à la colonisation. Le projet colonial et tous ses avatars baignent dans le racisme le plus abject. Il n’existe pas une colonisation douce et une colonisation barbare.

S’il ne sert à rien, aujourd’hui, de vouloir faire rendre gorge aux citoyens de pays ayant pratiqué hier l’esclavage et/ou la colonisation, on ne saurait, cependant, passer sous silence ces drames et leurs conséquences sur la situation des pays africains ou les sublimer par une entreprise de révisionnisme de mauvais goût. L’humanité entière devrait se soumettre à un devoir de mémoire par rapport à ces actes de barbarie commis par nos ancêtres, en vue de guérir du racisme qui sévit, malheureusement, en plusieurs endroits du globe, sur les vestiges de ce passé honteux et douloureux.

Il y a un souci d’honnêteté intellectuelle, qui exige que le projet colonial soit saisi, analysé et compris dans toute son amplitude, sa nudité et sa laideur. Mais, cela ne devrait point se faire dans le ressentiment, l’aigreur, l’esprit de revanche ; ou avec le complexe de culpabilité, la démagogie, la sublimation. Le pacte colonial fait partie du passé douloureux de l’Afrique avec l’Occident. Il n’est point nécessaire de le ressasser outre mesure, mais plutôt de l’entrevoir comme un point d’ancrage de notre histoire à partir duquel nous tirons des leçons pour bâtir le présent et le futur.

Autant les Africains ne doivent s’enfermer dans le complexe du colonisé, autant les Européens dont les pays ont pratiqué hier l’esclavage et la colonisation ne doivent avoir le complexe de culpabilité. Seuls des rapports construits à partir d’un partenariat décomplexé sont nécessaires entre l’Afrique et l’Europe et, au-delà, entre les Africains et les ressortissants des autres régions du globe. Mais, cela ne serait possible que si les Africains prenaient en main leur destin et le construisaient à travers une donne fondamentale : le travail.                   

Parce que de portée historique et prenant pour objet les strates les plus profondes de la société, les actions de libération nationale s’engagent à travers une politique et un programme d’éducation et de formation. Ce sont des actions inscrites dans le temps. Plus que des événements, ce sont des processus ou des procès, pour parler comme les marxistes. Il s’agit de maturation de la conscience nationale, pour aboutir à une citoyenneté collective avisée, affranchie et responsable, qui prenne en main la vie nationale pour lui imprimer une vision et lui définir un contenu. 

Les actions de libération nationale impliquent tout effort entrepris pour permettre au génie des peuples et des individus de se libérer pour se déployer dans la construction des nations. L’indépendance formelle de la plupart des anciennes colonies que sont les pays africains pourrait être perçue comme le premier niveau de libération nationale ; mais, sans une capacité des peuples, à travers leurs dirigeants et leurs système de gouvernance, de prendre en main leur destin, il n’est point question de libération nationale. De fait, la liberté n’est jamais octroyée, elle s’acquiert.

Sans un effort d’éducation et de formation étendu à toute la communauté nationale, sans la construction d’une économie avec des objectifs et finalités de création de progrès par et pour les peuples africains, sans un contenu endogène des programmes culturels dans les pays africains, la libération nationale ne serait qu’un slogan creux et la crise du décolonisé une énigme sans fin. L’élite politique africaine donnerait alors l’image d’un faune en cage qui tourne sur lui-même sans pouvoir trouver une voie de sortie !  

Le principe philosophique, les enjeux et le projet que porte le concept de libération nationale sont d’une telle gravité qu’on ne saurait les caresser, les exhiber et les mettre en avant dans des actions engagées dans une période de crise et portant sur le pouvoir politique, son acquisition de force ou sa confiscation par la violence. Lorsque des forces politiques ou militaires d’un pays luttent pour arracher de force ou pour conserver, par tous les moyens, le pouvoir politique, les questions de libération nationale ne peuvent trouver la profondeur et la sérénité dans lesquelles elles doivent être abordées et articulées pour en faire des axes d’action. Les luttes de pouvoir s’engagent dans un contexte et dans un cadre de violence qui, par essence, excluent la formulation de questions de fond. Introduire la problématique de libération nationale dans un tel environnement n’a qu’une  valeur d’exutoire.

Les Africains doivent se libérer de toutes chaînes, en commençant par celles qu’ils portent dans leur tréfonds, dans leur âme et dans leur esprit. Ces chaînes sont celles qui les entrelacent, les alourdissent et ne peuvent être détachées que par le travail sur eux-mêmes. Ce sont les chaînes qu’ils portent en eux. Elles se confondent, de fait, avec leur être profond et deviennent donc insensibles et difficiles à extirper.

En effet, la première arme de libération est le travail, qui libère les énergies, crée la richesse et met en mouvement toute action engagée dans la construction des nations. Les Africains doivent se libérer des aspérités qu’ils traînent dans des enclos ethniques et tribaux ; ils doivent se définir, se déterminer et s’envisager comme des êtres détenteurs de leurs destins et du contenu qu’ils entendent lui imprimer. A travers l’éducation, la formation et l’ardeur qu’ils mettront au travail, les Africains doivent construire une nouvelle société débarrassée du complexe du colonisé, car depuis 1960, la plupart des pays du continent ne sont plus sous le joug colonial.  C’est par le travail, dans le sérieux, le zèle et l’abnégation qu’ils mettront à l’accomplir et les résultats auxquels ils aboutiront, que les Africains se feront respecter du reste du monde.

Ce n’est point dans les slogans de libération nationale ou dans la rhétorique progressiste, qui relèvent d’une ère révolue, que les pays africains se construiront. Les actes de souveraineté que les dirigeants africains devraient poser pour affranchir les peuples africains se trouvent fondamentalement dans l’amélioration de la vie quotidienne des populations. Ils portent, pour l’essentiel, sur la construction, l’entretien et l’amélioration des infrastructures socioéconomiques de base pour permettre aux citoyens des pays africains de se nourrir, de se soigner, de s’éduquer, de vivre dans des logements décents et de pouvoir s’adonner à des activités économiques génératrices de progrès et de bien-être. Ces actes de souveraineté sont requis par un esprit de devoir qui devrait impulser, de la part des leaders africains, un sursaut d’orgueil, un courage politique. A l’évidence, une telle entreprise ne se mesure pas aux coups de gueule, mais plutôt à la pertinence de la définition et de la mise en application d’une politique hardie de développement autocentré et autoentretenu.

Ceci exige d’abord que les populations africaines, les citoyens des pays africains, les communautés humaines, qui habitent les contrées africaines, soient vus et acceptés par les dirigeants africains comme des concepteurs, des partenaires et la cible principale des actions de développement, contrairement à la pratique qui consiste, de la part de l’élite politique, à les utiliser et à les manipuler comme des bêtes de somme ou du bétail électoral auquel toutes les chimères sont permises.

Un état d’esprit inédit, une nouvelle mentalité et une approche novatrice sont d’une urgence absolue dans les rapports que l’élite dirigeante se doit d’entretenir avec les populations, ceci d’autant plus que les membres des classes dirigeantes sont issus des mêmes couches sociales que les autres composantes de la société nationale. De tels rapports seraient le point de départ de tout effort véritable de libération des Africains, s’ils sont construits selon un principe de devoir de respect de l’élite politique vis-à-vis des populations, de leur être profond, aspirations et visions.

Il faudrait que l’élite dirigeante des pays africains change de mentalité dans ses relations avec les populations africaines. Il faudrait qu’elle s’attèle à construire de nouveaux types d’interaction avec les peuples africains, au lieu de se mettre dans une position de domination vis-à-vis de ceux-ci en les infantilisant perpétuellement par des manœuvres d’endoctrinement.

L’élite des pays africains devrait cesser de porter le costume du colon, de se vautrer dans le lit du colon, pour se faire servir, comme lui, il y a près de cinquante ans, en maniant le fouet ou la baïonnette. L’élite au pouvoir dans les pays africains devrait s’empêcher d’exhiber, à tout vent, le spectre du complexe du colonisé ou le syndrome de la crise du décolonisé. Le faire serait une manière de singer le colon, en inversant le complexe de supériorité et la ‘mission civilisatrice’ avec le complexe du colonisé et la propagande de la libération nationale. Ceci reviendrait à nier le temps ou à figer les peuples africains dans un éternel commencement.                   

      

Emmanuel Y. Boussou

New York, 13 juillet 2010

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Commentaires
M
Il n'y a rien de plus precieux pour un peuple que son identite, un peuple aliene est comme un arbre qui reste debout mais dont les racines sont deja coupees, un tel arbre quelque soit la fertilite du sol sur lequel il est plante, ne pourra plus jamais produire des fruits, si le people noir ne resout pas a recouvrer sa vraie identité d'avant l'esclavage et la colonisation, et n'arrete pas de s'assimiler a l'occident, notre race va disparaitre purement et simplement. Deja nous n'exixtons que de la couleur de notre peau, tout le reste nous ne faisons qu'imiter et copier les autres, il est grand temps de se reveiller de notre sommeil.
M
Il n'y a rien de plus precieux pour un peuple que son identite, un peuple aliene est comme un arbre qui reste debout mais dont les racines sont deja coupees, un tel arbre quelque soit la fertilite du sol sur lequel il est plante, ne pourra plus jamais produire des fruits, si le people noir ne resout pas a recouvrer sa vraie identité d'avant l'esclavage et la colonisation, et n'arrete pas de s'assimiler a l'occident, notre race va disparaitre purement et simplement. Deja nous n'exixtons que de la couleur de notre peau, tout le reste nous ne faisons qu'imiter et copier les autres, il est grand temps de se reveiller de notre sommeil.
N
INTÉRESSANT COMME SUJET DE RÉFLEXION.: la question, entre autres, qui est mise en évidence, ici, c'est de savoir ce que serait devenu le peuple noir sans le contact avec les occidentaux?
N
INTÉRESSANT COMME SUJET DE RÉFLEXION.: la question, entre autres, qui est mise en évidence, ici, c'est de savoir ce que serait devenu le peuple noir sans le contact avec les occidentaux?
N
INTÉRESSANT COMME SUJET DE RÉFLEXION.: la question, entre autres, qui est mise en évidence, ici, c'est de savoir ce que serait devenu le peuple noir sans le contact avec les occidentaux?
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