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Le Blog d'Emmanuel Y. Boussou
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10 mars 2005

Octobre 2005 ne marque pas l’apocalypse en Côte d’Ivoire

                                                                                    

Le débat politique ivoirien porte, ces jours-ci, sur les conditions d’organisation du scrutin présidentiel et/ou le report de cette consultation électorale et ses conséquences. En effet, à sept mois de la fin du mandat présidentiel, le pays est toujours coupé en deux, les rebelles sont en possession de leurs armes et contrôlent la moitié Nord du territoire national. Au sud, des groupes armés assimilés à des milices continuent d’avoir pignon sur rue. Sous le terme générique de « Jeunes Patriotes », ils se substituent aux forces de sécurité et de défense en procédant aux contrôles de routine sur la voie publique et en faisant des incursions sporadiques dans les zones aux mains de la rébellion.   

L’intensité des discussions sur l’après octobre 2005 cache, en réalité, un engourdissement de la classe politique ivoirienne tétanisée par le doute qui plane sur l’organisation du scrutin présidentiel dans le cadre du calendrier électoral normal. Ceci d’autant plus que l’article 35 de la Constitution demeure, dans sa mouture initiale, le seul cadre juridique pour statuer sur les candidatures à l’élection présidentielle, avec à l’horizon, la répétition des arrêts Tia Koné.

Dans ce débat animé essentiellement par des experts en sciences juridiques du camp présidentiel et des forces politiques de l’opposition, je voudrais, en citoyen ordinaire, émettre quelques idées simples, en ayant à l’esprit la quête de la paix dans notre pays. 

Ma démarche est motivée principalement par l’impasse dans laquelle la Côte d’Ivoire est plongée par les positions tranchées des uns, faisant de la révision de l’article 35 une fixation, et l’inflexibilité des autres, s’arc-boutant sur l’exigence ici et maintenant du désarmement pour toute solution, avec, en prime, l’organisation d’un référendum sur ce même article 35 de la Loi fondamentale actuellement, alors que depuis 2003, des gages de bonne volonté auraient dû être donnés pour aboutir à cette étape. Au rythme des dissensions entre le camp présidentiel et l’opposition regroupée au sein du G7, la Côte d’Ivoire va droit dans le mur.

Les leçons de conflits armés sur une longue période au Libéria et en Sierra Léone voisins, tout comme les tourments du Soudan et du Congo lointains, rongés par une guerre civile sans fin, ne semblent guère de portée dans les états-majors des différents protagonistes de la crise ivoirienne. La Casamance, au Sénégal, ne donne, en rien, à réfléchir aux Ivoiriens, quant aux incertitudes de la durée d’une rébellion et à ses conséquences désastreuses sur les conditions de vie des populations, lorsque celles-ci n’en constituent pas les dommages collatéraux. Et il ne sert à rien de leur rappeler les atrocités de la crise angolaise, encore moins la déliquescence de la Somalie.

En vérité, il existe des groupes d’intérêts dans la zone sous contrôle gouvernemental et dans l’antre de la rébellion, qui prospèrent de la crise larvée qui sévit en Côte d’Ivoire. Et c’est peu dire que ces groupes ne veulent nullement que le conflit prenne fin! 

Il se donne, cependant, comme un avertissement aux leaders politiques ivoiriens : il faut tout mettre en œuvre pour que des élections ouvertes, transparentes et crédibles se tiennent en Côte d’Ivoire dans le respect des échéances régulières. C’est la condition de la paix, de la concorde et de l’harmonie retrouvée entre les Ivoiriens pour relancer le pays dans un élan de construction nationale sans exclusive. C’est dans cet effort auquel tous les Ivoiriens sont astreints que je propose les idées qui suivent. Mais, quelle que soit l’importance de l’échéance  électorale d’octobre 2005, il faut avouer qu’elle ne marque pas la fin de la Côte d’Ivoire !

1.         Du cadre juridique des prochaines consultations électorales

Avant d’aborder cette question, je voudrais, en toute modestie, suggérer aux différentes parties ivoiriennes impliquées dans la gestion de la crise le sens de la mesure, du discernement et de la modération. Les interprétations actuelles de l’après octobre 2005, mettant en avant des schémas catastrophes construits sur l’idée de la non-organisation de l’élection présidentielle, sont un conditionnement psychologique négatif, pour ne pas dire des incantations d’apprentis sorciers. Ni le camp présidentiel ni l’opposition n’ont aucun intérêt dans le report de l’élection présidentielle d’octobre 2005.

Par-dessus tout, le président de la République a été élu, selon ses propres termes, dans des conditions calamiteuses. Deux ans après cette élection contestée, agitée et soldée par un bain de sang, la moitié nord du pays lui a été arrachée par une rébellion armée. Depuis plus de deux ans et demi, il n’a  aucune autorité sur cette partie du territoire national. Si, de plus, son mandat venait à échéance sans que ne se tiennent de nouvelles élections, il serait plus qu’affaibli et n’aurait, aux yeux de la communauté internationale, aucun crédit. De plus, sa légitimité serait compromise et il apparaîtrait comme un potentat prêt à tout pour se maintenir au pouvoir. Dans ce cas, aucune argutie juridique ne pourrait lui servir de bouée de sauvetage.

Il est, par conséquent, impérieux pour le camp présidentiel de s’impliquer sans forfaiture, sans cynisme et sans calcul dans l’organisation d’une élection présidentielle régulière, transparente et honnête pour la paix dans notre pays. Ceci se donne comme la seule voie de courage politique. Si M. Gbagbo remporte ce scrutin, il sera difficile à son opposition de contester sa légitimité. S’il le perd, il pourra sortir du jeu politique ivoirien actuel la tête haute et cela sera à son honneur.

Eu égard au temps qui nous sépare de l’élection présidentielle, des actions d’envergure devraient être engagées sur l’initiative ou avec le concours du camp présidentiel pour donner un signal fort aux Ivoiriens et à la communauté internationale de sa volonté d’aller à la paix et d’impulser son pendant d’un règlement politique par le jeu d’élections démocratiques. Pour ce faire, il n’est point indiqué pour le camp présidentiel de clamer qu’il a fait sa part de sacrifice et qu’il faudrait le désarmement ici et maintenant pour toute suite à donner  au processus de pacification du pays. Ceci parce que, comme le dit le proverbe du terroir, c’est le président qui a de la viande fraîche à la main, c’est donc lui qui doit chercher du feu !   

    

a.         Casser les arrêts Tia Kone

Il est admis communément que l’article 35 de la Constitution constitue le nœud gordien de la crise ivoirienne, parce qu’il empêcherait un acteur principal de l’échiquier politique ivoirien, M. Alassane Dramane Ouattara, leader d’un parti politique, de se porter candidat à l’élection présidentielle. Mais au-delà du verdict du Conseil constitutionnel sur l’élection présidentielle d’octobre 2000, il faut voir le contenu des arrêts Tia Koné sur les législatives de décembre 2000 rejetant la candidature d’Alassane Ouattara pour la circonscription de Kong. En réalité, sous l’apparence du droit, les arrêts Tia Koné de 2000 sont une sentence politique suscitée par l’intention d’une junte militaire de se maintenir au pouvoir et ensuite par la propension du Front populaire ivoirien (FPI) de renforcer son emprise sur l’Etat au moment où il venait tout juste d’accéder à la magistrature suprême à travers un bras de fer avec feu Rober Guéi et le Rassemblement des Républicains. De plus, ces arrêts sur la présidentielle n’ont permis à aucun candidat du PDCI-RDA de prendre part à cette compétition électorale, alors que les représentants du parti cinquantenaire étaient près d’une dizaine.

Plus que l’article 35 de la Constitution, l’interprétation politique des lois électorales en faveur d’une coterie est l’obstacle majeur à une élection juste, équitable et ouverte en Côte d’Ivoire. Sans la cassation des arrêts Tia Koné et la garantie d’une lecture non partisane des lois électorales dans le cadre des élections à venir, l’amendement de l’article 35 de la Constitution ne serait qu’un coup d’épée dans l’eau. Et puisque aucun grand leader de l’échiquier politique ivoirien ne reconnaît explicitement que l’article 35 l’empêche de se présenter à l’élection présidentielle, on pourrait, pour le moment, faire l’économie de son amendement par voie référendaire pour y revenir, plus tard, lorsque le pays aura retrouvé la paix.       

Il est d’urgence que le Conseil constitutionnel ou, à défaut, la Cour suprême s’auto saisisse pour casser tous les arrêts Tia Koné portant sur les élections de 2000. De cette manière, tous les candidats des grands partis politiques qui voudraient se soumettre au suffrage des Ivoiriens dans le cadre de l’élection présidentielle prochaine pourraient le faire sans crainte de voir peser sur eux ces arrêts comme une épée de Damoclès.

b.         La refonte de la composition du Conseil constitutionnel

Telle qu’elle existe aujourd’hui, la composition du Conseil constitutionnel reflète essentiellement une seule sensibilité politique du pays: celle du FPI, le parti présidentiel. Etant donné que cette institution est censée contrôler la régularité de la présentation des candidatures aux présidentielles et législatives, il est d’une logique élémentaire qu’elle soit équilibrée dans sa composition pour susciter la confiance des autres partis. De plus, il faudrait qu’elle soit d’une neutralité absolue et d’une objectivité sans faille. Par-dessus tout, la présidence de cette institution devrait être assurée par un juriste de haut calibre, de grande probité morale et intellectuelle, et accepté des grandes formations politiques du pays, ce qui n’est pas le cas actuellement.

c.         De la Commission électorale indépendante

La crise que connaît la Côte d’Ivoire est, avant tout, une crise de confiance sur fond de contentieux électoral. Or, comme le Conseil constitutionnel, la Commission électorale indépendante, dans sa composition, son organisation et son fonctionnement actuels, n’est indépendante que de nom, tant elle est déséquilibrée en faveur d’un camp ! La contention entre le camp présidentiel et l’opposition à propos de la Commission électorale indépendante est de notoriété publique en Côte d’Ivoire.

Si des forces principales de l’opposition exigent que l’organisation du scrutin présidentiel soit confiée aux Nations-Unies, c’est principalement parce qu’elles se sentent flouées d’avance par les actes à venir d’une structure qui ne leur inspire nullement confiance. Ici comme ailleurs, il faudrait qu’un accord minimum, sans faux-fuyant et sans l’intention d’humilier ses adversaires à travers un bras de fer inutile, s’obtienne entre le parti présidentiel et l’opposition. Si cela n’est possible, il nous serait difficile d’user du paravent de la souveraineté nationale pour nous opposer à l’organisation de l’élection présidentielle par les Nations-Unies.

2.         Du désarmement

Depuis l’occupation de la moitié nord du pays, la rébellion armée n’a cessé d’émettre des revendications politiques condamnant les conditions calamiteuses de l’organisation des élections générales de 2000, suite à la transition militaire. Au fil du temps, ces revendications se sont clarifiées pour se focaliser sur l’exigence d’une élection présidentielle ouverte, transparente et équitable en 2005, avec, comme préalable, l’amendement de l’article 35 de la Constitution. En réalité, la rébellion voudrait se donner le rôle d’arbitre de la prochaine élection présidentielle en faisant usage des armes pour s’assurer qu’aucun candidat de poids, principalement M. Alassane Ouattara, n’est  exclu de ce scrutin.

Une telle position --à savoir l’arbitrage du jeu politique par un groupe armé-- est intenable par tout esprit démocratique. Cependant, les valses-hésitations du camp présidentiel sur l’application des accords de Linass-Marcoussis et la reprise des hostilités en novembre dernier, avec la violation du cessez-le-feu par l’Armée nationale, ne font que donner du grain à moudre à tous ceux qui doutent de la volonté du pouvoir ivoirien d’œuvrer  en faveur d’une solution politique au conflit.

A sept mois de l’élection présidentielle, que faire pour que tous les groupes armés, en dehors des forces nationales régulières et des forces internationales, déposent les armes? Pour tout dire, le désarmement des rebelles ne pourrait s’obtenir qu’avec toutes les garanties d’ouverture et de transparence du scrutin présidentiel d’octobre 2005, sinon, ce serait de force  et avec tous les risques que cela comporte. Mais, il faut convenir que le désarmement de la rébellion ne saurait s’accommoder des actes de violence de milices ou groupes armés opérant sur le front Ouest ou à Abidjan. Toutes les factions en armes, en dehors des forces régulières, doivent se soumettre au désarmement.   

3.         L’appui de l’ONU dans l’organisation des élections de 2005    

A défaut de piloter tout le processus électoral du début à la fin, l’ONU, à travers ses structures politiques et techniques de gestion des élections et les unités militaires et de police composant son opération de maintien de la paix, devrait s’impliquer dans les consultations générales à venir. Ceci est l’une des garanties majeures de la crédibilité de ces scrutins, ce qui constituerait un gage de leur acceptation par les différentes parties.

Une fois que les différentes factions en armes sur le territoire national auront été regroupées et désarmées et l’administration nationale redéployée au Nord et à l’Ouest, les forces onusiennes devraient couvrir tout le pays, essentiellement les zones abritant diverses communautés, avant et pendant toutes les opérations électorales, à commencer par l’identification et l’inscription sur les listes électorales. Pour prévenir des actes d’intimidation et de harcèlement des uns sur les autres en vue d’influencer le résultat des élections, toutes les opérations électorales devraient s’accomplir sous la supervision et l’observation des Nations-Unies, si elles ne leur sont confiées entièrement.

De la Namibie au Timor-Leste, les Nations-Unies ont accumulé une expertise et une expérience de conduite d’élections auxquelles les chapelles politiques ivoiriennes doivent  accepter de se soumettre sans complexe, si elles veulent arriver à des consultations électorales transparentes, honnêtes et crédibles. L’argument selon lequel la Côte d’Ivoire a toutes les structures administratives, techniques et les capacités de défense et de sécurité pour conduire seule les élections prochaines n’a aucun poids. Confier entièrement l’organisation des élections générales  à venir aux organes électoraux nationaux tels qu’ils existent actuellement serait une dangereuse fuite en avant.

Notre pays connaît une crise politique et militaire majeure. C’est ce qui justifie la présence sur notre sol de troupes étrangères. Etant donné que les élections générales de cette année sont vues de toutes les parties ivoiriennes comme la solution ultime de la crise, la gestion de celles-ci devrait être appuyée par les forces internationales qui soutiennent notre pays dans sa quête de la paix. Et comme à tout seigneur tout honneur, l’Organisation des Nations-Unies s’impose aux Ivoiriens dans l’organisation des élections générales prochaines.         

               

Emmanuel Y. Boussou

Etats-Unis, 10 mars 2005

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