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Le Blog d'Emmanuel Y. Boussou
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19 septembre 2005

Transition ou report technique de l’élection présidentielle du 30 octobre 2005 ?

A moins d’un mois et demi de la fin du mandat présidentiel, la classe politique ivoirienne se trouve, à nouveau, confrontée à une contention portant sur l’interprétation de dispositions constitutionnelles. Dans cet autre débat sur la crise ivoirienne et ses conséquences sur les échéances électorales futures, les positions des uns et des autres sont diamétralement opposées, ce qui rend toute analyse non partisane périlleuse.

En faisant cette intervention, je n’ai nullement l’intention de vouloir proposer une voie absolue, mais un cheminement comme tout autre dans la quête d’une paix durable dans notre pays. Il est évident que les points que je soulève et les idées que je défends sont similaires de positions formulées par des formations politiques et d’autres entités impliquées dans la gestion de ce dossier. Je ne m’en défends pas. Mais, je présente des idées auxquelles je crois, qu’elles soient proches ou éloignées de points de vue déjà exprimés sur la place publique. 

N’étant pas juriste, je ne ferais qu’une  lecture simpliste, celle d’un citoyen ordinaire, des articles 35 ; 38 ; 39 et 40 de la Constitution ivoirienne. Par souci de commodité, je voudrais, de prime abord, présenter quelques extraits de ces articles. Je ferai, ensuite, un commentaire sur le report technique de l’élection présidentielle et je terminerai par des suggestions sur une éventuelle transition.

1.         Que dit la Constitution sur l’élection présidentielle ? 

Art. 35. « Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois. » […].

Art. 38. « En cas d’événements ou de circonstances graves, notamment d’atteinte à l’intégrité du territoire ou de catastrophes naturelles rendant impossible le déroulement normal des élections ou la proclamation des résultats, le président de la Commission chargée des élections saisit immédiatement le Conseil constitutionnel aux fins de constatation de cette situation. Le Conseil constitutionnel décide dans les vingt quatre heures de l’arrêt ou de la poursuite des opérations électorales ou de suspendre la proclamation des résultats. Le Président de la République en informe la Nation par message. Il demeure en fonction. Dans le cas où le Conseil constitutionnel ordonne l’arrêt des opérations électorales ou décide de la suspension de la proclamation des résultats, la Commission chargée des élections établit et lui communique quotidiennement un état de l’évolution de la situation. Lorsque le Conseil constitutionnel constate la cessation de ces événements ou de ces circonstances graves, il fixe un nouveau délai qui ne peut excéder trente jours pour la proclamation des résultats et quatre vingt dix jours pour la tenue des élections. »

Art. 39. « Les pouvoirs du Président de la République en exercice expirent à la date de prise de fonction du Président élu, laquelle a lieu dès la prestation de serment. Dans les quarante-huit heures de la proclamation définitive des résultats, le Président de la République élu prête serment devant le Conseil constitutionnel réuni en audience solennelle. »  […].

Art. 40. « En cas de vacance de la Présidence de la République par décès, démission, empêchement absolu, l’intérim du Président de la République est assuré par le président de l’Assemblée nationale, pour une période de quarante-cinq jours à quatre-vingt-dix jours au cours de laquelle il fait procéder à l’élection du nouveau Président de la République.»[…].         

2.         Du report de l’élection présidentielle

Avant de débattre du report technique de l’élection présidentielle, il faudrait noter que le mandat présidentiel est de cinq ans, comme le prescrit la Loi fondamentale en son article 35. Si les points de cet article sur la nationalité et la filiation des candidats à l’élection présidentielle ont fait l’objet d’un compromis politique, le premier alinéa relatif à la durée du mandat présidentiel n’a pas été modifié et reste, de ce fait, en vigueur. Cela limite nécessairement le temps d’un report technique. Par ailleurs, l’idée même de report prescrit un acte circonscrit dans le temps. En principe, le report concerne des opérations électorales qui ont connu un début, d’où l’idée de leurs arrêts ou de la suspension de la proclamation des résultats (article 38). 

Comme indiqué plus haut (article 38), le report de l’élection présidentielle est justifié par l’impossibilité, dans des conditions normales, d’engager ou de conduire à terme les opérations électorales. L’ouragan Katrina, qui a dévasté une partie du sud des Etats-Unis le 29 août 2005, par exemple, est une catastrophe naturelle qui, si elle s’était produite en Côte d’Ivoire pendant l’organisation de l’élection présidentielle, rentrerait dans ce cas de figure.

Il est vrai que l’attaque armée de notre pays le 19 septembre 2002, qui s’est muée en rébellion, est une  situation d’atteinte grave à l’intégrité territoriale, ce qui ne permet pas l’organisation de l’élection présidentielle. Ici, la question porte moins sur la matérialité de l’atteinte à l’intégrité territoriale que sur la durée d’un report dont la fin serait nécessairement celle de l’occupation armée d’une partie du pays. De plus, il faudrait tenir compte des 90 jours statutaires, comme le suggère la Constitution (article 38). En toute logique, la justification du report de l’élection présidentielle par l’existence de la rébellion n’est pas un argument de poids, sauf si des efforts extraordinaires étaient entrepris pour aboutir, dans un délai de trois mois, au désarmement et engager des opérations électorales régulières. 

Or,  étant donné que la rébellion contrôle le Nord du pays depuis trois ans et qu’elle fait du départ du président Laurent Gbagbo l’une des conditions de son désarmement, il est évident qu’un report de l’élection présidentielle, dans le contexte actuel, ne serait qu’un report sine die ou une fuite en avant, puisque cela ne donnera pas lieu au désarmement des rebelles, sauf s’il était obtenu de force, avec tous les risques que cela comporte.

De plus, la Commission électorale qui, selon l’article 38, doit saisir le Conseil constitutionnel aux fins de constater l’impossibilité de l’organisation du scrutin et évaluer quotidiennement les conditions de reprise du processus électoral, n’est pas encore formellement constituée, ayant fait l’objet de controverses entre l’opposition et le camp présidentiel. Ceci indique, en substance, que le retard dans la mise en place du processus électoral relève autant d’événements ou de circonstances graves que d’entraves dues à la mauvaise foi ou à des calculs d’acteurs politiques et de la direction de la rébellion.

Par ailleurs, avancer l’idée de l’organisation des élections en Côte d’Ivoire sans avoir au préalable obtenu le désarmement des rebelles et des milices et/ou engager un programme de réconciliation, en vue de conduire les opérations préliminaires de recensement et d’inscription sur les listes électorales dans la sérénité, ne semble pas relever d’un jugement politique pertinent. 

Le contrôle de la partie septentrionale de la Côte d’Ivoire  par les rebelles depuis trois ans est une réalité qui s’est imposée aux dirigeants du pays et qui aurait pu être gérée avec dextérité bien avant les échéances électorales de cette année. De ce point de vue, la rébellion est devenue un fait établi, une situation pérenne. La considérer aujourd’hui comme un événement dont la survenue soudaine pourrait justifier un report de l’élection présidentielle est une assertion qui se soutient difficilement.

S’il n’est pas juste de faire porter la responsabilité de la crise actuelle au pouvoir ivoirien, on ne saurait non plus lui faire l’éloge d’avoir su gérer cette situation en vue de conduire la Côte d’Ivoire à la paix de manière à créer les conditions d’élections justes, honnêtes et transparentes. De plus, un report de cette consultation électorale ne saurait se concevoir sans en fixer à l’avance un délai précis et raisonnable que toutes les parties seraient obligées de tenir ! En dernière instance, l’ajournement de l’élection présidentielle, s’il en était besoin, devrait se concevoir plus en termes de mesure de sortie de crise que de rallonge ou de Gouassou[1] au pouvoir ivoirien.

Telle qu’esquissée par la Constitution en son article 38, l’idée de report de l’élection présidentielle s’entrevoit dans un délai de trois mois (90 jours). C’est la même idée qui est reprise par l’article 40. Mais, dans ces deux cas, il s’agit d’un processus électoral normal qui ne fait pas suite à une guerre et tout ce que cela implique en termes de déplacements de personnes, de déstructuration du tissu social, de dégradation de services administratifs et de destruction des pièces d’Etat-civil.            

L’article 39 de la Constitution stipule que les pouvoirs du Président de la République en exercice expirent à la date de prise de fonction du Président élu. Il ouvre, en apparence, la possibilité pour le président en fonction de se maintenir à son poste, tant que de nouvelles élections ne sont conduites en vue de la prestation de serment de son successeur. Mais, il convient de noter que cette disposition constitutionnelle s’applique à une modalité de passation de charges. Ceci s’apparente à la situation d’un fonctionnaire affecté à un poste auquel son  prédécesseur reste en activité jusqu’à sa prise de fonction.

Dans le cas présent, le nouveau président n’est pas encore élu et les élections à l’issue desquelles il doit être désigné sont hypothéquées. Comment alors son prédécesseur peut-il faire de sa prise de fonction le repère de son temps de départ ?  Si cet article devait s’interpréter pour le maintien du président en exercice sans aucune perspective de nouvelles élections, il serait en contradiction avec l’article 35, qui fixe la durée du mandat présidentiel à cinq ans et l’article 38 qui entrevoit un report à circonscrire dans le temps. Tout ceci  ne fait qu’entretenir la confusion juridique entourant ce débat; ce qui le place, de ce fait, sur le terrain politique.    

Sans s’enfermer dans un juridisme inutile, l’observateur ordinaire de la vie publique ivoirienne perçoit aisément les limites de la thèse du report de l’élection présidentielle ou du maintien du président à la fin de son mandat. De plus, survient la question de la légitimité du président de la République en dehors des cinq ans statutaires tels que prescrits par la Loi fondamentale. Si le président Laurent Gbagbo opte pour cette solution, cela donnerait l’impression de sa volonté de se maintenir au pouvoir de force plutôt que de droit !

A notre avis, à moins qu’une recette consistant en une solution à la problématique du désarmement de la rébellion et des milices opérant dans la zone sous contrôle gouvernemental soit présentée, il ne se dégage d’issue à la crise ivoirienne à la fin du mandat présidentiel que celle d’un compromis politique. C’est à ce niveau que la piste d’une transition trouve sa pertinence.      

3.         Vers une transition politique après le 30 octobre 2005

   

Entre un report technique de l’élection présidentielle et une transition, lequel de ces deux schémas serait le mieux indiqué pour conduire la Côte d’Ivoire à un scrutin transparent, honnête et crédible, qui serait accepté de toutes les parties et impulserait, se faisant, une dynamique de paix et de concorde susceptible de renforcer la cohésion nationale ? Telle est, à notre avis, la question que les chapelles politiques nationales, la société civile et les représentants de la communauté internationale à charge du dossier ivoirien devraient se poser à propos de l’après 30 octobre 2005.

La transition n’est nullement inscrite dans la Constitution. Tout comme aucune prolongation du mandat présidentiel, en dehors de ce qui a été évoqué plus haut, n’est prévue par la Loi fondamentale. C’est pourquoi après le 30 octobre, hormis un report technique hypothétique de près de 90 jours donnant nécessairement lieu à l’organisation des élections, la Côte d’Ivoire entre dans une période de vide constitutionnel. Or dans trois mois, rien n’indique que l’incertitude politique dans laquelle notre pays se trouve après trois ans d’une situation de ni paix ni guerre s’estomperait. Dès lors, la transition se donne comme l’une des voies de sortie de crise que les acteurs politiques devraient explorer.   

L’exigence de négociation en vue d’une transition politique en Côte d’Ivoire ne saurait être éludée ou noyée dans des considérations partisanes mues par des empoignades stériles. Pour réussir à susciter la paix, promouvoir la concorde et impulser la cohésion nationale, la négociation politique ne doit nullement être un jeu de loterie avec un gagnant et un perdant.  En l’engageant, le pouvoir politique et les partis d’opposition devraient se mettre dans un état d’esprit d’ouverture, de tolérance et d’humilité. Dans le cas contraire, ils risquent de braquer leurs adversaires contre eux et courir à l’échec.

Jusqu’à présent, dans leurs déclarations publiques, le président de la République et son parti, le FPI, se sont opposés énergiquement à l’idée d’une transition après le 30 octobre 2005. Notre souhait est que cette hostilité à la transition ne soit que de façade. L’idée de la mise en place d’une transition à la fin du mandat présidentiel devrait être évaluée par le parti présidentiel à l’aune de sa valeur sui generis. Une telle réflexion gagnerait à être nourrie avec circonspection, discernement et probité. Elle pourrait, ainsi, présenter d’immenses avantages pour toute la classe politique et la Côte d’Ivoire tout entière.

Il faut noter que depuis le déclenchement de cette crise, la plupart des décisions importantes prises par le président Laurent Gbagbo l’ont été sous la pression, sans anticipation et en dehors d’un timing pertinent. Ceci a contribué énormément à entretenir un climat de suspicion et de méfiance entre son opposition et lui, à irriter la communauté internationale et à annihiler toute voie d’issue à la crise. Lorsqu’il dit aujourd’hui qu’il a fait tout ce qui était de son devoir dans la gestion de ce conflit, il n’a pas totalement tort ; mais, il n’a pas, non plus, totalement raison, puisque son pays est toujours coupé en deux et le débat politique national se trouve dans l’impasse avec des menaces fusant de partout.

Plus que ses adversaires, le principal ennemi de M. Gbagbo dans la gestion de la guerre, qui lui a été indûment imposée, est l’attentisme. Ayant trop joué avec le temps, le temps se joue de lui au dernier moment en le poussant le dos au mur ! Par ailleurs, s’engager dans un bras de fer sur toute question avec son opposition n’est pas susceptible de créer un esprit de confiance comme condition première de la réconciliation.         

Dans l’immédiat, l’acceptation de la transition par toutes les parties et principalement le camp présidentiel serait un acte politique majeur qui pourrait faire tomber considérablement la tension récurrente. Si, de surcroît, le Président de la République s’y soumet volontairement, prend l’initiative de son retrait des charges suprêmes de l’Etat à la fin de son mandat et en fait l’annonce, la portée historique de l’acte, sa dimension symbolique et ses retombées sur le désarmement des rebelles et des milices ne ferait qu’entrevoir une immense lueur d’espoir pour la réconciliation et la paix en  Côte d’Ivoire.

De cette manière, la constitution des structures à charge de conduire la transition et les élections, la définition de leur contenu et la fixation de leur durée,  pourraient faire l’objet de négociations de façon consensuelle entre les différents partis politiques ivoiriens. Ceci faciliterait la tâche d’assistance et d’appui de la communauté internationale.

En acceptant une transition sans en assurer nécessairement le pilotage, à l’issue de son mandat, le président Laurent Gbagbo donnerait un signal fort aux Ivoiriens, à la communauté internationale et à ses adversaires politiques de son attachement à la recherche du compromis et de son inclination à un effort de dépassement de soi pour aller à la paix au bénéfice exclusif du peuple de Côte d’Ivoire. Ceci serait une action sublime d’un homme d’Etat au service de son pays. Et puisqu’il quitterait le pouvoir à la fin de son mandat, il ne donnerait nullement l’impression d’un abandon des Ivoiriens ou d’une quelconque démission. Bien au contraire, l’image du combattant intrépide des libertés et de la démocratie, qui a été la sienne pendant sa longue carrière politique, n’en serait que renforcée. Les Ivoiriens sauraient lui en être reconnaissants au moment opportun. 

En sa qualité de citoyen ordinaire, M. Laurent Gbagbo disposerait de temps, de quiétude et d’énergie pour se consacrer aux joutes électorales futures. S’il gagne des élections qu’il n’a pas organisées, sa victoire n’en serait plus qu’éclatante et incontestable. S’il les perd, il pourrait continuer de contribuer à la construction nationale en tant que leader politique pour, le moment venu, revenir triomphalement à la tête de l’Etat, comme cela s’est déjà observé au Bénin et en Guinée-Bissau. Ainsi, son nom serait gravé en lettres d’or dans les pages de l’Histoire du peuple de Côte d’Ivoire.

Emmanuel Y. Boussou

Etats-Unis, le 19 septembre 2005

 


[1] Expression ivoirienne signifiant rallonge ou rajout.

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