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Le Blog d'Emmanuel Y. Boussou
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26 septembre 2005

Monsieur le Président de la République, faites un geste qui sauve, dites un mot qui guérisse la Côte d’Ivoire !

Monsieur le Président de la République,

Après moult hésitations, je me suis résolu à vous écrire cette lettre ouverte. Elle me vaudra, sans doute, le courroux de vos partisans. Cependant, je ne compte nullement, en vous écrivant ces quelques lignes, faire preuve d’irrévérence à votre endroit ; je n’ai pas, non plus, l’intention d’exprimer un manque de considération pour les charges que vous assumez. Je vous adresse ce message, en votre qualité de Président de la République en fonction, pour partager avec vous mes angoisses à l’approche de la date fatidique du 30 octobre 2005.   

Je le fais avec la conviction que si elles étaient nourries dans votre entourage, ces idées viendraient difficilement de vos proches collaborateurs ou de simples militants de votre parti. Les uns sont préoccupés par la défense de votre régime par instinct atavique de survie ; les autres voient en votre maintien au pouvoir de force un motif de satisfaction personnelle dont le caractère onirique n’a d’égale valeur qu’une chimérique revanche sur l’histoire. « Nous sommes au pouvoir et nous ferons tout pour nous y maintenir ; après tout, les autres n’y ont-ils pas passé quarante ans ? » Ou  « On gagne ou on gagne ! »   

Monsieur le Président,

Dans le ciel brumeux des relations entre le pouvoir et l’opposition, s’annonce un cyclone : un bain de sang ! Vos partisans et les militants de partis d’opposition sont sur le pied de guerre. Nous sommes dans une période qui ressemble fort à une veillée d’armes. Les menaces qui pèsent ces jours-ci sur la Côte d’Ivoire nous ramènent au spectre des  événements macabres liés à votre prise de pouvoir en 2000 et aux images lugubres du carnage de mars 2004 entrepris pour la survie de votre régime. A cela s’ajoute le souvenir amer des journées noires de novembre 2004 pendant lesquelles notre jeunesse a été utilisée comme un bouclier humain face aux chars de l’Armée française. Tout ceci hante ma conscience de citoyen ivoirien.

Ne permettez point qu’il en soit rajouté aux peines des Ivoiriens ! Faites en sorte qu’aucune goûte de sang ne soit versée, de nouveau, pour sauver un pouvoir. Faites tout pour que, plus jamais, la vie d’un enfant ivoirien ne soit sacrifiée pour défendre le fauteuil présidentiel.

Monsieur le Président,

Votre accession aux charges suprêmes de l’Etat s’est opérée avec le concours d’un parti politique ; mais, vous êtes l’unique responsable devant la Nation des actions engagées sous votre autorité. Jusqu’au terme de votre mandat le 30 octobre 2005, vous avez entre vos mains la destinée de 17 millions d’âmes. Par conséquent, vous ne devez pas vous laisser dominer par des états d’âme, des sautes d’humeur. Eloignez de vous l’orgueil et tenez à distance la vindicte et l’arrogance. L’honneur et la dignité d’un homme de devoir sont précédés par l’humilité, sœur jumelle du courage. La témérité relève de la vanité !

Ne vous sentez pas fatigué dans la quête de la paix. Ne renoncez pas au dialogue et ne fermez pas la porte à la négociation. Etant à la tête d’un pays déchiré, vous y êtes invité de force ou de gré ! Le repos, pour vous, se donnerait comme une voie d’impasse. Vous êtes, jusqu’à preuve du contraire, à la barre. Ceci fait de vous « une personne ayant de la viande fraîche à la main et qui, en toute logique, doit chercher du feu. »  Dans l’opposition, vous avez fait d’une expression votre leitmotiv : «  Asseyons-nous et discutons ! »

Ne vous laissez pas séduire par les radicaux de tous bords. Ne répondez pas aux chants de sirène de journalistes guerriers et de mouvements de soutien qui, comme des champignons, poussent à profusion et ne vivent qu’aux dépens de celui qui les écoute. Ils  vous encouragent à la résistance devant votre opposition animée par d’autres Ivoiriens.  Ils  vous poussent à sortir une épée face à vos frères de l’opposition. Existe-t-il un conseil plus insensé que celui-là ? Vos opposants ne sont-ils pas des Ivoiriens pour qui vous avez prêté le serment de protection de la vie et de respect de la dignité ? La plupart des gens qui vous suggèrent d’en découdre avec vos opposants, en dehors des joutes politiques régulières, luttent en vue du maintien d’avantages acquis au service de votre régime. Votre survie politique à la tête de l’Etat est une situation de rente pour eux.      

A votre opposition, ne répondez pas du tac au tac. Préférez le discours courtois, le ton mesuré et le verbe sobre au sarcasme, à la diatribe et au quolibet. Le Président est le dernier recours, sa parole est sacrée. Elle intervient pour clore un débat, apporter un apaisement, offrir une voie à suivre. La parole du Président n’est pas celle d’un parti politique et ne saurait s’exprimer dans le même ton et avec la même pugnacité !         

Monsieur le Président,

Faites un geste qui sauve la Côte d’Ivoire ; dites un mot qui guérisse notre patrie !

Fortifiez-vous dans la candeur, la générosité et la clairvoyance. Offrez une feuille d’olive à celui qui vous tend un glaive. Ne le faites pas par faiblesse, mais plutôt par intelligence, altruisme et sagesse. Ne comptez pas, ainsi, confondre votre opposition ou embarrasser vos pairs de la sous-région. Ne vous mettez pas en captivité d’un clan ou d’une coterie, mais donnez-vous en sacrifice à la paix en ayant à l’esprit le sort de futures générations d’Ivoiriens.      

Que l’ultime finalité de vos actions, le mois prochain, ne soit pas le maintien à tous les prix d’un pouvoir, mais plutôt la protection et la préservation de vies humaines ! Détachez-vous de toute pression, affranchissez-vous des pesanteurs de cercles familiaux et politiques immédiats. Prenez de la hauteur et pensez à la Côte d’Ivoire d’abord. Demandez-vous ce que sera ce pays si vos partisans et vos opposants s’engagent dans un affrontement sanglant après le 30 octobre 2005 !

Votre opposition légale a de sérieuses dissensions avec vous à propos de la conduite à tenir après le 30 octobre. Même le Parti ivoirien des Travailleurs (PIT), qu’on ne peut suspecter d’hostilité ouverte vis-à-vis de votre camp, a exprimé sa position en faveur d’une transition. La rébellion, qui a fait de votre départ de la tête du pays un de ses desiderata, se trouve aujourd’hui confortée par l’appréciation des partis politiques les plus significatifs de l’opposition de l’après 30 octobre 2005 et leur option pour une transition conduite par un homme ou une femme qui ne serait pas candidat au scrutin présidentiel prochain.

Si, à l’issue d’un antagonisme, qui s’annonce féroce, vous arrivez à dicter aux autres formations politiques votre loi relative au report des élections dans quelques mois ou si vous prenez, de force, le pilotage d’une transition, quels en seront le prix et les conséquences ?  Pourriez-vous impulser une dynamique de paix et de cohésion nationale sur les décombres d’une Côte d’Ivoire ainsi martyrisée ?

Monsieur le Président,

Engagez-vous dans la négociation avec les autres forces de l’échiquier politique ivoirien en vue d’une solution politique au vide constitutionnel qui se profile à l’horizon. Prenez le devant des choses en faisant preuve d’ingéniosité, de perspicacité et d’ouverture. Cultivez surtout la bonne foi avec vos adversaires politiques. Ne le faites pas pour vous, ni pour votre entourage, encore moins pour votre famille politique ; mais pour toute la Côte d’Ivoire dans la diversité des opinions politiques de ses habitants et dans la pluralité de ses configurations ethniques et socioculturelles.   

Ne vous laissez pas acculer, déborder et dépasser par le cours des événements pour n’avoir recours qu’à la rue ou à l’Armée ! Vous êtes, certes, arrivé au pouvoir avec la rue, mais vous n’avez pas nécessairement besoin de la rue pour vous y maintenir, surtout à la fin de la durée statutaire de votre mandat. Si vous le faites, vous auriez opté pour la chienlit et la dictature. C’est, en principe, dans la concertation avec les partis politiques qu’une voie idoine pourrait se dessiner pour la conduite des opérations électorales futures. Votre victoire ou votre défaite au scrutin présidentiel prochain ne marquera certainement pas la fin de la Côte d’Ivoire. Elle sera, en partie, le résultat des actes que vous poserez dans les jours à venir. De la dimension et du contenu que vous leur donnerez, ces actes feront sortir notre pays de la torpeur ou l’enfonceront dans l’abîme.         

Emmanuel Y. Boussou

Etats-Unis, 26 septembre 2005

            

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