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Le Blog d'Emmanuel Y. Boussou
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4 décembre 2006

Monsieur le Chef de l’Etat, la haine nous ronge et consume la Maison Ivoire

Je voudrais, dans la candeur, vous parler d'une chose banale, d'un sentiment naturel: la haine. Comme vous le savez, le contraire de la haine est l'amour, c'est pourquoi je l'évoquerai, de façon indirecte, dans ce texte.

Je le fais sur la base d’un constat : notre Maison Ivoire est envoûtée, gangrenée, intoxiquée par la haine. Elle a besoin d’être soumise à une séance d’exorcisme. Puisque vous estimez que les Ivoiriens doivent s’approprier les leviers de la résolution de la crise, je vous prends au mot en suggérant que nous commencions par un examen de conscience. Cela nous amènera certainement à situer nos responsabilités pour, ensuite, trouver des voies de solution au conflit qui déchire notre patrie.    

Je ne voudrais pas, cependant, verser dans une approche manichéenne des trames au cœur de la vie publique ivoirienne. En réalité, il existe, en chacun de nous, une dualité faite d’amour et de haine. Nous avons autant la possibilité de faire le bien, le pendant de l’amour, que le mal, sous l’impulsion de la haine. C’est ce choix que nous pouvons opérer, en toute circonstance, qui est le libre arbitre. La haine habite la même maison que l’amour. Cette maison est l’esprit de l’homme. En extrapolant, nous pouvons ramener cela à la Maison Ivoire, celle que nous avons en partage, vous et moi, avec nos compatriotes.

La haine prospère dans le mal et engendre le vice, alors que l’amour se nourrit de bien et magnifie la vertu. Ainsi, il existe, même en politique, une intelligence vertueuse, qu’on peut mettre au service d’un engagement, dans le renoncement, contrairement à la ruse qui, selon le concept de Nicolas machiavel, permet au prince de triompher par le jeu de manœuvres dans l’ultime but de conserver le pouvoir.    

La haine génère l’égoïsme et s’exprime, souvent, par l’arrogance ; l’amour libère la générosité et bonifie la charité, dans le sens le plus profond de ce terme. L’humilité est la fille de l’amour ; quant à l’orgueil, il résulte de la haine. La haine procède de l’ignorance et évolue dans l’opacité, ce qui la rend aveugle, alors que l’amour symbolise la clarté, qui illumine l’esprit.

Pour la quête et la conservation du pouvoir politique, la haine nous habite depuis un certain nombre d’années. Elle nous a poussés à grossir nos différences d’appréciation, en lieu et place de la nécessité de mettre en relief et d’exalter les convergences de notre idéal d’une vie commune. Sous les apparats de la quête de la démocratie et de l’exercice de la liberté, la haine nous a donné l’illusion de construire des temples voués à l’animation du débat d’idées, lorsqu’en réalité, nous bâtissions des chapelles à dominance ethnique et des ghettos d’extrémisme pour préparer les esprits à la violence et à la prédation de l’économie nationale, en ayant comme leitmotiv : « hôte-toi de là pour que je m’y asseye ».

Pourtant, le Vieux Sage nous avait mis en garde contre la haine, la jalousie et les intriques, qui génèrent la violence, la destruction et le désordre. Il nous disait qu’il préférait l’injustice au désordre, parce qu’elle est plus facile à corriger. Mais, est-ce que la sagesse du terroir véhiculée par cette parole forte nous a empêchés de lui faire subir le châtiment de la rue exprimant la haine la plus vicieuse, vile et gratuite ? Vous vous rappelez certainement ces mots : « Houphouët Voleur ; Houphouët, Démission » !

Ensuite, ce fut la manipulation à outrance de l’école avec la destruction de la jeunesse, les deux étant devenues des instruments de luttes politiques. Avec l’éclosion de syndicats d’enseignants et d’étudiants au service d’ambitions politiques, l’école ivoirienne cessa d’être ce creuset d’excellence dans la formation intellectuelle, technique et morale de notre jeunesse. Celle-ci fut sacrifiée, poussée à la médiocrité et à la violence. Nous connaissons la suite, avec un jeune homme à la tête d’une rébellion, lorsqu’un autre dirige la résistance. Ne sont-ils pas tous deux issus du même sérail marqué par un syndicat estudiantin, celui-là qui a partie liée avec une formation politique et participe, de manière bruyante, à votre action ?    

Mieux que moi, vous savez que la richesse la plus précieuse d’une Nation, le capital le plus productif d’un pays, c’est la matière grise, l’intelligence. Celle-ci s’acquiert par le travail, la qualité et la disponibilité des opportunités offertes à l’éducation et à la formation de la jeunesse. C’est cela, avec les potentialités de croissance économique en termes de création d’emploi, qui constitue l’instrument essentiel d’émancipation des peuples. Comment voulez-vous engager une politique de libération de la Côte d’Ivoire lorsque, au départ de votre action, vous avez pris l’école en otage ? Comment comptiez-vous réussir en embrigadant la jeunesse, en l’initiant au défi de l’autorité et à l’utilisation de la violence comme arme politique ? Quelles sont les valeurs que vous avez inculquées à la jeunesse ivoirienne ?       

Depuis le début de cette crise, nous organisons des séances de prière, de veillées, suivies de jeûne. Les différentes communautés religieuses de notre pays ont été mises à contribution dans cette quête spirituelle. Cependant, des lieux de culte, nous allons, le cœur toujours chargé de haine, aux meetings politiques pour proférer des invectives, brandir des menaces et donner des mots d’ordre débouchant sur des actes de violence soldés par des morts et des destructions de biens.

Progressivement, nous nous sommes enivrés de haine pour nous installer dans la culture de la violence, dans une logique d’affrontement. Nous ne savons plus parler sans menacer ; nous ne pouvons nous écouter sans nous injurier et sans brandir de gourdin. Nous n’avons pas d’alternative à la violence. Notre jeunesse n’à aucun repère, obligée qu’elle est de végéter dans une sous culture d’engagement politique avec des machettes et des Kalachnikovs, lorsqu’elle n’est pas happée par une musique cacophonique de débrouillardise ou simplement broyée par la prostitution, la toxicomanie et le VIH-sida.

Dans notre commune Maison Ivoire, il n’existe plus d’échelle de valeurs, encore moins  de pudeur ou de retenue, ni pour les enfants, ni pour les adultes, sauf ce qui porte sur l’argent et toute voie permettant de s’en approprier facilement ! Qu’elle soit verbale ou physique, qu’elle entraîne la mort ou la torture, c’est elle, cette violence, qui est bestiale dans son essence, que nous privilégions pour régler nos problèmes. N’est-ce pas la même violence, extrême manifestation de la haine, qui s’est abattue sur la Côte d’Ivoire, dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002 ? Devrions-nous user de la même voie qu’elle pour l’extirper de notre Maison Ivoire ?        

En suivant la plupart de vos déclarations publiques, on se rend compte de la fréquence de l’utilisation des mots comme lutte, combat, bataille. Ces mots ont une charge négative. Au contraire, des vocables comme construire, bâtir, consolider, fortifier, rassembler ont une vibration positive et peuvent aisément impulser une dynamique de réconciliation.

Quant à vos partisans, si ce ne sont les atrocités de ce conflit, à son début,  qu’ils ressassent, ce sont des responsabilités qu’ils situent ailleurs, chez les autres, dans tout acte que ceux-là posent ou même dans leurs pensées, qu’ils tentent de lire. Vous et votre camp êtes blancs comme neige. Vous n’avez rien fait, vous ne saviez rien et n’étiez de près ou de loin mêlés aux causes ayant justifié cette tentative de coup de force dont les auteurs semblent, pourtant, être vos anciens compagnons. La violence et la hargne de leurs actes au début du conflit ne font-elles pas penser à un règlement de compte résultant d’une trahison ou d’une promesse non tenue ?

Lorsqu’un Ivoirien exprime une vue différente de la vôtre, il devient automatiquement, aux yeux de vos admirateurs, un rebelle, un vendu ou simplement un fou. Si ce n’est cela, alors, il serait à la recherche d’un poste, puisque pour eux, il n’y aurait rien de plus important qu’un poste, même dans cette Côte d’Ivoire défigurée par un conflit honteux et une culture de l’impunité. C’est de cette manière que nous nous illustrons, comme des charognards, sur la dépouille de la pauvre Côte d’Ivoire ! En dehors du pouvoir et des prébendes, quelle ambition avons-nous pour notre pays ? 

Tout ce que j’entends de vos partisans ressemble à un  discours de peur, une sorte de paranoïa, qui se nourrit d’un esprit de complotite susceptible d’entretenir une logique de violence. Cela est très inquiétant, parce qu’indicateur, d’une part, d’un manque d’envergure et de stratégie de gestion de conflit, et d’autre part,  d’une frilosité et d’une mauvaise foi quant à la quête de solutions pertinentes de sortie de crise. Dans une telle perspective, il se dégage un constat simple : l’économie de guerre est une économie de prédation dont les rebelles et votre camp sont les plus grands bénéficiaires.   

Nous avons tous la Côte d’Ivoire en héritage. L’amour de la patrie ne devrait pas s’exprimer uniquement par le soutien, sans condition, à une chapelle politique ou à un homme. Ce n’est pas, seulement, lorsqu’un leader politique, que nous adulons, est au pouvoir que nous devons marquer notre attachement à la Côte d’Ivoire. Ce n’est pas non plus parce que nous ne sommes pas d’accord avec un homme politique et sa gestion de l’Etat que nous serions des renégats.

Dans la situation de crise que traverse notre pays, le patriotisme vrai devrait résider dans notre capacité de savoir nous écouter, d’aller au compromis, de faire preuve d’humilité, chacun de nous, à son niveau, pour arriver à la réconciliation. Ce patriotisme prend pour socle la Côte d’Ivoire, non pas un parti politique ou un homme, qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition.

A propos d’humilité, je voudrais vous faire savoir que l’idée que j’en ai diffère de celle qu’entretiennent certains de vos thuriféraires. A  mon modeste avis, c’est l’antidote le plus efficace contre ce conflit. A ce propos, je voudrais vous rassurer que je ne vous conseille pas de vous faire humilier ou de permettre que votre amour propre soit blessé, comme semblent le craindre vos partisans.

Par ailleurs, ce n’est pas à l’homme Laurent Gbagbo ou au leader d’un clan que je parle, mais au Chef de l’Etat de Côte d’Ivoire, ce pays déchiré, qui est mien. Ceci étant, la perception que j’ai de cette crise ou ce que j’entrevois comme voies de solution n’est pas une vérité irrécusable, loin s’en faut ! Je n’ai nullement l’intention et la prétention d’imposer quoi que ce soit. J’estime que chacun de nous a le droit de s’exprimer sur la manière dont les affaires publiques de notre pays sont conduites, surtout dans cette période de tensions sociopolitiques et les souffrances induites sur la population. Après tout, je paye des impôts, comme tout citoyen.

Lorsqu’on est humilié, on est soumis à l’humiliation. Quand on fait preuve d’humilité, on s’engage dans un acte de cœur, d’honneur, de grandeur. C’est aussi un acte d’intelligence, de responsabilité et de courage politique. L’humiliation est subie, alors que l’humilité est voulue. C’est justement pour que le chef puisse s’engager dans un acte d’humilité, si besoin en est, qu’il jouit de lucres et autres prérogatives dans l’exercice de ses fonctions. C’est la même logique qui, en économie, justifie le salaire payé à l’ouvrier comme moyen d’entretien de la force de travail.

L’acte d’humilité qu’un chef d’Etat pose pour obtenir la paix n’est pas à titre personnel ou pour un clan, mais au nom de la collectivité qu’il dirige. En s’engageant dans un acte d’humilité, le chef se met en communion avec ses administrés. Ici, il n’est nullement question d’humiliation devant une force ennemie, mais plutôt d’humilité, d’une main tendue à vos frères ivoiriens, qui ont des contentieux avec vous ou des divergences avec votre conduite des affaires de l’Etat. A mon sens, tous ceux qui vous conseillent la fermeté dans la gestion de ce conflit vous induisent en erreur.   

L’idée principale qui se dégage des tensions perpétuelles, à propos de la mise en application des différents accords, indique la peur de la fin du conflit de la part de tous ceux qui en tirent profit. Mais ces tensions se nourrissent également d’une atmosphère de haine entretenue par une grande composante de la société ivoirienne et les chapelles politiques, toutes tendances confondues. C’est l’un des plus grands défis que nous devons tous relever. Sans nous départir de la haine, qui nous ronge, nous courons à notre perte individuelle et collective. Mais, plus grave, nous exposons inéluctablement la Maison Ivoire à la géhenne pour nous et nos enfants.

Emmanuel Y. Boussou

Etats-Unis, le 4 décembre 2006

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