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Le Blog d'Emmanuel Y. Boussou
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3 mars 2007

Chacun de nous passera, tous nous trépasserons, seule la Côte d'Ivoire demeurera

Je voudrais m’adresser ici à mes sœurs et frères militants du Front populaire ivoirien (FPI) et aux admirateurs du président Laurent Gbagbo qui n’osent pas s’afficher comme membres de son parti. Je voudrais leur parler en toute liberté, mais du fond du cœur. Je le fais à partir de ce qu’ils considèrent comme une contention qu’ils auraient avec moi, suite à mes écrits précédents au chef de l’Etat.

 

Je voudrais dire, d’entrée, que la liberté de m’exprimer sur la vie publique ivoirienne, que je revendique, échoit à tout citoyen ivoirien. Par conséquent, je n’entrevois nullement un débat sur le principe du droit des partisans de M. Laurent Gbagbo d’être en désaccord avec les positions que je défends ou de me porter la contradiction, s’ils le veulent, sur des questions de fond.

 

Ce que je voudrais dénoncer a trait à la propension de certains séides du chef de l’Etat de se comporter en sicaires pour porter le glaive à tout Ivoirien ayant des vues contraires à celles de leur maître sur la conduite des affaires de l’Etat ivoirien. Cela est dangereux, car symptomatique de la pensée unique et de pratiques dictatoriales.

 

Il est d’évidence que je ne demande pas aux femmes et hommes de pouvoir et leurs ouailles de me choyer, de me cajoler ou de m’encenser. Par ailleurs, je ne suis pas naïf pour croire qu’exposer des points de vue sur des trames de lutte pour la quête, la conquête ou la conservation du pouvoir au détriment de la recherche de la paix et de la cohésion nationale me vaille des fleurs.

 

Que ceux qui ne conçoivent pas la République en dehors de leur mainmise sur tous les appareils d’Etat ou de la préservation du pouvoir d’un clan ressentent des urticaires à la lecture d’écrits bousculant leurs certitudes est d’importance mineure. Ce qui est, cependant, préoccupant, c’est leur intention de réduire au silence ceux qui ne pensent pas comme eux. Contre le terrorisme intellectuel et la violence physique et verbale pour imposer l’autocensure, j’exige, pour tout Ivoirien, la latitude de se prononcer sur la gestion des affaires de son pays. En effet, « sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur » (Beaumarchais, dans le Mariage de Figaro). 

 

Comme Tiburce Koffi, Venance Konan, Denis Kah Zion et bien d’autres Ivoiriens, j’ai une appréciation de la gestion de la crise, dans notre pays, qui ne s’inscrit pas dans le schéma de la propagande de lutte de libération nationale conçu par le pouvoir ivoirien, véhiculé et exécuté par des réseaux internes et externes. Il est vrai qu’au début de ce conflit, j’avais fait écho à ce discours dans mes écrits, étant donné que l’attaque armée était partie de l’extérieur.

 

Mais, au fur et à mesure que le leadership de la rébellion se dévoilait et précisait ses revendications, suite aux premières difficultés de mise en application des accords de Linas-Marcoussis, tenant compte de la boucherie de mars 2004 et des errements de novembre 2004, je me suis fait une idée beaucoup plus précise des enjeux de la crise. Ces enjeux sont, à mon avis, le pouvoir et les convulsions sociales entretenues par les chapelles politiques et les structures satellites érigées au sein de la société civile pour sa conquête et sa gestion au profit d’un clan. De mon point de vue, les déterminants du conflit sont essentiellement endogènes.

 

Oui, tout porte sur ce pouvoir et les prébendes qui s’y rattachent, dont des liasses de billets de banque qu’on négocie, en catimini, avec des pollueurs de la Côte d’Ivoire et assassins des Ivoiriens, pour certainement étouffer la vérité concernant les complicités internes. Ce pouvoir pour lequel on fait usage du mensonge et de la roublardise, on élimine physiquement tous ceux qui gênent et on pousse la Côte d’Ivoire dans un abîme total. Ce pouvoir qui enivre, rend aveugle et fou ; ce pouvoir qui est éminemment important pour qui le tient. Ce pouvoir qu’il faut arracher à tout prix et conserver par tous les moyens. Ce pouvoir qui ne se partage point, ne se cède jamais. Ce pouvoir qui se prend de force, de hautes luttes. Ce pouvoir qui est de valeur étalon ou valeur cardinale.   

 

N’étant pas un homme de pouvoir, je ne saurais fermer les yeux sur le drame que vit notre pays par les effets mortifères de la lutte pour et au nom du pouvoir. N’étant pas dans les compromissions qu’impose la logique de pouvoir, appelée aussi raison d’Etat, je ne connais pas la langue de bois. Face au désarroi, à la désolation et au tourment des populations ivoiriennes, l’acquisition ou la conservation d’un pouvoir par un clan ou un autre importe peu. Arriver à la paix entre les filles et fils d’une même Nation me semble plus important que tout.      

 

Pendant les trois derniers mois de l’an 2006, j’ai écrit quatre textes publiés sur le portail Abidjan.net. Deux de ces écrits ont concomitamment paru dans Le Nouveau Réveil.  La publication de ces textes m’a valu toutes sortes d’avanies, d’injures, de grossièretés, sur lesquelles je ne voudrais pas revenir ici. Ce que je voudrais noter porte sur l’inanité, la fatuité et la vanité de l’agressivité, des intimidations et des menaces dans le débat d’idées, surtout lorsqu’il s’agit de questions relatives à la vie publique d’un pays.

 

Ceux qui ne comprennent rien à ce que j’écris aujourd’hui peuvent, à satiété, m’insulter, si cela leur procure un tant soit peu de réconfort et leur donne la certitude d’une certaine puissance. Ils seraient portés à m’agresser physiquement ou à tenter de me nuire que cela n’altérerait en rien mes convictions. Demain, avec du recul, j’espère que certains d’entre eux réaliseront que la vérité et la raison ne sont pas plus à eux qu’à moi et que l’amour de la patrie est à nous tous, même si nous l’exprimons différemment.

 

L’ampleur du pourrissement de notre pays dépasse des circonspections d’ordre sentimental, d’état d’âme, de soutien aveugle à une coterie. A mon sens, ce qui prime n’est point relatif à un cas d’orgueil. Il ne s’agit nullement de prévenances à un leader ou de la préservation des rentes d’un clan.

 

Il est question de la survie d’une Nation, celle qui est prise en otage par un groupe de femmes et d’hommes, pour assouvir leurs intérêts égoïstes sous prétexte qu’ils livrent une guerre de libération à un pays, à ses dirigeants et à ses hommes d’affaires à qui ils cèdent pourtant tout pour se maintenir dans le lucre du pouvoir. Il s’agit essentiellement de sortir la Côte d’Ivoire des griffes de la rébellion et de tout autre groupe de prédateurs pour la désenvoûter du mensonge, de la mystification et de la haine, afin de l’engager dans un processus de reconstruction nationale. 

 

La Côte d’Ivoire, notre patrie, n’est plus celle qu’elle était en 1999, ou même en 2000. Que dire de ce que nous voyons depuis septembre 2002 ? Le même pays, une aire géographique identique, ce cadre physique et humain, creuset, jadis, d’un génie certain d’intégration, s’offre à notre observation. Mais, la Côte d’Ivoire apparaît, aujourd’hui, sous le prisme des balafres de la rébellion.

 

Notre commune Maison Ivoire est marquée par les scarifications de la lutte armée ; le  pays est à jamais rongé par la haine, détruit par des intrigues politiciennes sans fin. Il est froissé, fissuré, déchiré. De par la faute de ses filles et fils, notre patrie est défigurée. Les ambitions politiques et le lucre du pouvoir on rendu la Côte d’Ivoire méconnaissable. Mais, en dehors du pouvoir, quels sont les enjeux des luttes qui ont cours dans notre pays depuis la mort du président Houphouët-Boigny ? Quel degré faudrait-il que la décrépitude de notre commune Maison atteigne pour nous interpeller et susciter en nous un sursaut d’orgueil ? 

 

Hier, certains de mes sœurs et frères, militants du RDR, exerçaient des actes de vandalisme sur mon véhicule garé au pied de l’immeuble de l’un des leurs, à qui je rendais visite, dans le Bronx, à New York, parce qu’ils m’auraient entendu m’exprimer dans ma langue maternelle avec mon fils en descendant de la voiture. D’aucuns me laissaient des menaces dans mon répondeur automatique. D’autres voulaient me lyncher, au cours de leurs manifestations, dans les rues de Manhattan.

 

Pendant le premier trimestre de l’an 2004, un militant du FPI, que je considère comme un ami de toujours, m’appela pour me dire ceci : « C’est toi qui suggères, dans tes écrits, aux autorités ivoiriennes de laisser Alassane Ouattara se présenter à l’élection présidentielle. Je te préviens, si tu mets les pieds en Côte d’Ivoire, tu seras buté ». Cette menace n’a en rien modulé la teneur et le rythme de mes contributions aux discussions sur notre pays, encore moins la fréquence de mes visites sur la terre de nos ancêtres.     

 

En 1999, des responsables du RDR ont écrit, à mon employeur, pour se plaindre de mes prises de position sur la vie publique ivoirienne, qui n’étaient pas à leur goût, et exiger que je sois sanctionné. Aujourd’hui, ils me saluent, lorsque nous nous voyons, et nous rions, pour ne pas pleurer, de nos incompréhensions d’hier, sans acrimonie, sans rancune et sans haine. Nous savons que par nos positions antérieures, nous avons contribué à la destruction de notre commune Maison Ivoire, parce que nous avons été incapables de nous parler et de nous écouter. Avec les leçons que nous tirons de nos erreurs d’hier, nous arrivons à une conclusion partagée : la Côte d’Ivoire est toujours la même, quand bien même elle serait divisée en deux, et elle est à nous tous !

 

Un parti politique est construit sur un corpus d’idées exprimées sous la forme d’un programme s’appuyant sur une idéologie. Il est l’œuvre de femmes et d’hommes qui se constituent en mouvement pour conquérir le pouvoir et l’exercer au bénéfice de l’ensemble des habitants d’un pays. Si le pays, la Nation et l’Etat sont projetés et établis dans la durée, les femmes et hommes, ainsi que les instruments à leur service, à savoir les partis politiques et les programmes qu’ils conçoivent et exécutent, sont dans le mouvement. Ils passent, alors que la Nation reste. De fait, sublimer un leader politique, envisager son action comme une œuvre d’absolue valeur procède de la vanité. 

 

Nous savons qu’il n’est aucun leader politique qui soit éternel, comme aucune formation politique ne pourrait régenter la Côte d’Ivoire ad vitam eternam. Un parti politique est comme un être humain. Il naît, prospère et s’étiole. Quels que soient la force de son idéologie, la clairvoyance de son leadership, le degré de vitalité de ses militants, la pertinence de son programme, son action est inscrite dans le temps et ses vérités dans le relatif, point dans l’absolu. Un parti politique se forme en vue de participer à l’édification d’une Nation.

 

En ce qui nous concerne, tout passe, seule la Côte d’Ivoire demeure. Ceci suggère que les contradictions relatives à l’organisation et à l’animation de la vie publique de ce pays sortent du carcan des passions haineuses, du fétichisme clanique et de l’incantation démagogique pour se gérer dans la retenue, la générosité et l’humilité, avec, en prime, un esprit de fraternité, de tolérance et d’amour.     

 

 

Emmanuel Y. Boussou

Etats-Unis, le 1er mars 2007

 

 

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